Service Militaire

Janvier 1965 à février 1966 : Je suis incorporé dans l’armée de l’air et je pars faire mes classes le 2 janvier 1965 à Fribourg en Allemagne. Après l’armistice de mai 1945, l’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation. Elles seront réparties entre les quatre grands alliés que sont les Soviétiques, les Britanniques, les Américains et les Français. Donc l’armée française crée les troupes françaises d’occupation d’Allemagne (TOA) avec le quartier général à Baden-Baden, qui en 1962 deviennent les forces françaises d’Allemagne (FFA). Fribourg avec l’armée de terre et celle de l’air, au pied de la Forêt noire à une vingtaine de km du Rhin et de la frontière française. La première des choses, à notre arrivée à la caserne, est de passer au magasin d’habillement pour recevoir notre tenue de ville et les chaussures. Ensuite la tenue pour les manœuvres et les rangers.

Pour terminer, le paquetage : un grand sac en toile bleue avec tout le nécessaire du bon soldat qui comprend en cas de déplacement (les habits, les couverts, la gamelle, le gobelet, la gourde et le nécessaire de couture avec aiguilles et fil à coudre). Ce sac nous suivra partout et je peux vous dire il n’est pas léger. Dans la foulée, le passage chez le coiffeur et pas la peine d’être venu avec les cheveux courts car on y passe de toute façon. Ensuite, visite médicale et cerise sur le gâteau, la fameuse piqûre TABDT que tout le monde redoute. TABDT signifie typhoïde A et B, diphtérie, tétanos. Pour ce faire, il y a un mode opératoire. Dans un local de l’infirmerie, nous sommes réunis par groupes, torse nu. Des bancs sont alignés et on est assis côte à côte. Une odeur d’éther je pense, traîne par là et l’ambiance est plutôt à l’inquiétude. Puis, passe dans notre dos un infirmier qui désinfecte la zone d’injection à l’aide d’un coton imbibé d’iode en frottant fort. Un second suit et il plante une aiguille d’un geste machinal entre l’épaule et le cou car il fait ça à la chaîne. Enfin, le médecin, qui lui a une seringue et injecte le liquide dans l’aiguille laissée en attente. Et pour terminer, un dernier personnage qui lui, retire les aiguilles en frottant avec un coton à l’endroit de l’injection. Pendant les quarante-huit heures suivantes, à la diète bien sûr et ne pas bouger le bras afin de faire circuler le produit vaccinal. Il est bien connu que cette vaccination est très douloureuse. Le dernier point une cuti-réaction (test de la tuberculose).

Les classes : Comme instructeur, nous avons un adjudant-chef qui a fait la guerre d’Algérie et qui se croit toujours en activité là-bas. Je peux vous dire qu’il nous a menés la vie dure pendant les classes. Dans le même bâtiment, il y a plusieurs dortoirs, situés au premier étage et nous sommes une douzaine par unité. Le matin à six heures réveil au clairon, une demi-heure pour la toilette et puis petit déjeuner. Retour à la chambre pour le nettoyage et surtout faire le lit au carré. Notre adjudant a un malin plaisir à faire le contrôle de tout ceci et si le lit est mal fait, on recommence autant de fois jusqu’à la perfection. Par la même occasion, inspection de nos chaussures qui doivent être impeccables (le cirage est gratuit) et de notre tenue. Ensuite ce sera la levée des couleurs dans la cour de la caserne par n’importe quel temps par la sonnerie au drapeau français. Enfin, il faut apprendre à marcher au pas et ce n’est pas une mince affaire. Pour ce faire, on marche dans la cour pendant un certain temps peut être une ou deux heures en chantant un chant militaire. Viens aussi l’exercice du maniement d’armes y compris le tir au fusil et à la mitraillette avec des balles réelles sur une cible. La séance terminée, démontage et nettoyage de tout le matériel. Le soir, sauf erreur extinction des feux à vingt et une heure.

Les manœuvres : Celles-ci se passent en forêt et nous partons en convoi de G.M.C. (camions militaires bâchés équipés de bancs) comme si c’était réel, accompagnés de la jeep pour le gradé et de l’ambulance avec les infirmiers. Arrivés sur le terrain prévu pour ces manœuvres, deux groupes sont formés, les attaquants et les défenseurs. Nous sommes habillés en tenue de combat et camouflés. Le visage bien coloré en noir et s’il fait mauvais temps, (pluie ou neige) tant pis. On se fait notre petite guerre, les armes pas chargées.

A midi, boîtes de rations et un quart de rouge sous les arbres et retour à la caserne. La journée n’est pas finie car on démonte et on nettoie nos armes que l’on va rendre à l’armurerie. Pour finir, on porte nos habits de combat à la lingerie et surtout on nettoie les rangers sans oublier de bien les cirer.

Jean Paul à droite

 

A savoir : Nous sommes au mois de janvier et février et la vie à la caserne n’est pas simple pour toute une partie du contingent (ceux qui vivaient chez papa et maman et ceux qui faisaient des études plus poussées que la plupart d’entre nous, les fils à papa). Pour moi, pas trop de problèmes vus que j’ai fait trois années d’internat. La vie et la discipline en communauté, je connais. Le soir, il nous arrivait de remonter le moral à quelques-uns d’entre eux, car on était tous dans le même panier (il y a eu une tentative de suicide et cet appelé, on ne l’a jamais revu à la caserne). Vu que notre chef adjudant était un spécimen rare, un jour, on s’est foutu de lui et le soir une surprise nous attendait. Il faisait froid et il gelait ce soir-là. Vers vingt-trois heures, il arrive et allume dans la chambre en nous disant : vous avez un quart d’heure pour vous habiller, remplir le paquetage et vous retrouver dans la cour de la caserne sous les projecteurs. Il s’est fait un malin plaisir sans faire le moindre commentaire, de nous faire chercher la trousse de couture et de lui présenter les aiguilles ainsi que le fil à coudre. Bien sûr, pour récupérer ce bel objet, il a fallu vider entièrement le contenu du paquetage sur le bitume. Ensuite, après la présentation, remettre tout à sa place, sauf qu’il faut ranger correctement sinon impossible de tout faire tenir. Ceci restera un très bon souvenir. Aussi on avait droit chaque mois à notre ration de cigarettes (une cartouche de dix paquets de gauloises sans filtre). Pour la nourriture, pas un quatre étoiles mais la bonne tambouille militaire. Pour le ramassage des couverts et la plonge, le planning était fait à l’avance à tour de rôle, midi et soir. Il y avait aussi un foyer où on se retrouvait pour boire une bière et jouer à quelques jeux.

Fin des classes : Les classes se terminent. Comme j’avais fait la demande pendant mes trois jours à Commercy d’être volontaire pour l’Outre-mer, on m’a appris que je partirai en mission en Algérie ce qui ne m’a pas réjoui, car c’était le seul pays qui ne me tentait pas (j’aurais préféré Tahiti). J’en ai parlé à un supérieur mais pas de chance car il cherchait un câbleur et je tombai à pic. Par contre, il fallait bien nous occuper avant le départ (nous étions quatre). Un matin, on s’est retrouvés au mess des officiers. « Toi et ton collègue, aux cuisines pour donner un coup de main au cuisinier et l’autre à la plonge. Vous deux (moi et mon collègue à midi), vous faites le service au mess, et c’est comme cela que je me suis retrouvé serveur le midi. On a fait ce que l’on pouvait mais les gradés étaient sympas car ils voyaient bien qu’il y avait de vrais et de faux serveurs. On est resté une dizaine de jours. Pour nous quatre, quoi de plus, on mangeait après le service plutôt bien, on avait du choix et en prime un bon verre de vin car les bouteilles n’étaient pas toujours vidées et un dessert au choix. Vers quinze heures, on avait fini et on rentrait à la chambre. Pas de surveillance car le contingent de nouvelles recrues était arrivé et on nous demandait juste d’être discrets et de ne pas déranger.

Départ pour l’Algérie, Colomb-Béchar Sahara : via Marseille et Oran. Je passe quelques jours de permission en famille (à Marseille, j’avais un oncle frère à ma mère) que j’avais vu à la maison à l’occasion de la communion de ma petite sœur et qui m’avait dit « passe me voir quand tu veux ». Je ne sais plus comment je l’ai contacté mais toujours est -il que j’ai pris le train Strasbourg-Marseille et qu’il m’attendait à la gare Saint Charles, un journal à la main, deux jours avant le départ du bateau. Il m’avait réservé une chambre à l’hôtel. J’ai passé deux jours avec lui et je n’ai jamais su où était son domicile. Les deux matins, il me prenait à l’hôtel et on allait sur le vieux port pour manger des fruits de mer en guise de petit déjeuner arrosé de vin blanc. On a fait la corniche jusqu’à Cassis en passant par les Goudes. Midi et soir, on mangeait au restaurant y compris au Lido, grand restaurant de Marseille. On a aussi visité des serres de fleurs car son métier était chauffagiste. Je pense qu’il m’a emmené dans des endroits où il était connu. D’ailleurs, on l’appelait JO diminutif de son prénom Joseph.

Le deuxième jour, il m’a emmené à la caserne vers vingt-deux heures et j’ai pris le bateau le lendemain en quatrième classe, c’est à dire en fond de cale. Comme oreiller, on avait le paquetage qui nous suivait partout. Pas de pot car on a eu droit à la tempête et on peut compter sur les doigts de la main ceux qui n’ont pas tout rejeté (moi y compris). Je ne me rappelle plus le temps de la traversée mais arrivés à Oran, nous avons passé la journée à la caserne.

La Rafale : C’est le train qui fait la liaison Oran-Colomb Béchar, 400 km dans le désert. Wagons sans portes et banquettes en bois. Vitesse, 30 à 40 km heure et beaucoup d’arrêts pour prendre des gens qui sont au bord de la voie. Aux gares plus importantes, arrêt plus long et des gens du coin et enfants qui attendent pour nous vendre un peu de tout (oranges, mandarines, boissons, thé, etc.). Nous arrivons enfin à Béchar où des cars de l’armée nous attendent pour nous acheminer à la base militaire à 10 kms.

La base de Colomb-Béchar : C’est une base inter armée d’essais d’engins spéciaux qui se compose de l’armée de l’air pour tout ce qui est avions et armée de terre pour les essais missiles. Elle existait déjà avant la guerre d’Algérie et restera en activité à l’indépendance en 1963. Elle va disparaître définitivement en 1967. C’est un site militaire important car beaucoup sont des militaires gradés ainsi que des civils avec des spécialités bien techniques dans ce domaine. Un peu plus loin, isolée, une base de légionnaires qui a des missions bien précises de surveillance et d’intervention s’il devait y avoir problème. Un quartier à Béchar militaires gradés et civils y compris un hôpital militaire. Le Maroc et la chaîne de l’Atlas sont à une centaine de km.

La vie à la base : On s’installe dans un des dortoirs qui sont tous situés au premier étage dans de grands bâtiments. Ensuite, on fait la connaissance des lieux : infirmerie, poste, intendance, cantine, laverie, salle où on peut se rencontrer, équipée de télé (je me rappelle la série Rintintin), flipper, bar, etc. Le matin, le clairon à six heures. Ensuite, la levée des couleurs. On m’emmène à mon poste de travail. C’est l’atelier de câblage. Le tour est vite fait. Un civil comme patron, un appelé comme moi sauf que lui est plus âgé, il a vingt-huit ans, ingénieur électronicien de Menton et un troisième de même âge de la Creuse qui lui est ingénieur en aéronautique. J’ai de la chance de tomber dans ce cadre-là. Mon travail : ils font des schémas sur plan, ils me cherchent le matériel et je fais le câblage. A treize heures, j’ai fini la journée. Je vais au réfectoire manger et suis libre le reste de l’après-midi. J’ai le droit d’aller à l’atelier si ça me chante. D’ailleurs, avec le collègue de Menton, on s’est mis d’accord. Il a un livre d’anglais, je lui lis des résumés en français et il les traduit à voix haute en anglais et il les écrit pour ne pas perdre son anglais. Il parle aussi allemand et en compensation il me donne des leçons mais comme je ne m’appelle pas Albert (son prénom), je ne prends pas cela au sérieux. Par contre, je ne coupe pas à la garde toutes les cinq semaines une fois la journée et l’autre la nuit. Pour ce faire, on embarque dans un GMC qui nous emmène assez loin de la base dans des guérites le long de la clôture barbelée. On est deux par guérite, un part à droite et l’autre à gauche pour faire notre ronde, je ne me rappelle plus la longueur du parcours. On revient à la guérite faire une pause et c’est reparti pour un tour. Même chose pour la nuit de dix-neuf heures à six heures le matin sauf que c’est mal éclairé (et il était fréquent d’entendre des bestioles comme le chacal ou l’hyène). Il n’est pas rare qu’il y ait des tempêtes de sable. En très peu de temps, tout est recouvert de sable dans la base, donc il est difficile de retrouver les trottoirs des voies d’accès. Si on est dehors lors de la tempête, il faut se protéger surtout la figure car le sable pénètre partout et il brûle le visage. Après la tempête, les équipes du génie, munies de balayeuses, nettoient les voies car les trottoirs ont disparu et ils soufflent les moteurs des véhicules pour enlever le sable.

Hammaguir : Ce camp est situé à cent vingt km de Béchar. C’est la grosse activité :la rampe de lancement pour les essais missiles et la rampe pour le futur lancement de la première fusée Diamant qui sera porteuse du premier satellite français nommé Astérix. Je me suis rendu quelques fois sur le site car le peu de travail que je faisais était testé là-bas. En règle générale, on y allait en car. J’ai eu la chance d’assister à deux reprises à des lancements de missiles depuis la rampe de lancement et en novembre 1965 de la fusée Diamant. Nous n’étions pas aux premières loges mais on a tout vu. Mes deux collègues ingénieurs avaient été chargés si possible de calculer la trajectoire de la fusée et je me rappelle c’était presque parfait. Le temps passe et en décembre, j’ai une permission pour passer les fêtes de fin d’année en famille. Et là, c’est Colomb-Béchar/le Bourget en caravelle. C’est la première fois que je prends l’avion. Ce qui m’a marqué, c’est que cet avion au décollage monte carrément à la verticale. Je passe les fêtes de fin d’année en Alsace et je fais la connaissance d’Anne-Marie. Début janvier, retour Strasbourg-Paris, on passe la nuit dans une caserne parisienne et le lendemain retour Colomb-Béchar par caravelle. Mi-février, je suis appelé au bureau d’un gradé qui m’apprend qu’il a reçu l’ordre de me libérer car j’ai été déclaré, après une demande de la mairie de mon village, soutien de famille. Tout va se passer très vite, en moins de vingt-quatre heures, tout est réglé. Je me retrouve avec mon paquetage dans un Nord Atlas, assis sur une caisse, direction le Bourget, puis le train pour Lutzelhouse. J’ai quelques jours pour ramener mon paquetage à la gendarmerie la plus proche ce que je ferai en allant au village voisin. Le gendarme me demande de faire l’inventaire et pour ce faire, je vide le contenu dans la pièce. Merci pour l’odeur, c’est très vite fait et l’armée est terminée pour moi.

Souvenirs de mon service en Algérie : La journée, il fait très chaud et pareil en début de nuit. Par contre, en pleine nuit, il fait froid et comme on ne se couche pas couvert bien souvent, on se paie ce qu’on appelle la bécharite, c’est-à-dire une bonne colique. Les WC, ça fonctionne. Les lits sont en tubulure acier et le matin, j’avais des traînées rouges sur mes bras et d’autres avaient la figure et le corps tout rouge de démangeaison car ils se grattaient, sans s’en rendre compte souvent, jusqu’au sang. On a eu l’autorisation de descendre les lits dans la cour qu’on a arrosé d’essence et mis le feu car les jointures étaient infestées de punaises. Deux à trois fois par semaine, on avait cinéma en plein air et au passage on prenait une chaise et on était prêt. La consigne était de ne pas rester pieds nus car il y avait des scorpions, jaunes et noirs. A chaque séance, il y en avait qui criaient. Si c’était un jaune, juste une bonne douleur, si c’était un noir, direction l’infirmerie et en prime consigné avec corvée à la clé. Le dimanche, il y avait des sorties en car mais il n’y a pas grand-chose à voir. Par contre, on pouvait aller à Béchar car il y avait une navette qui faisait la liaison. Notre plaisir, en tout cas le mien, était de manger des brochettes d’agneaux. Je ne crois pas en avoir mangé d’aussi bonnes depuis et puis il y avait le souk.

On se posait aussi la question pourquoi les arabes changeaient tout à coup de trottoirs. La réponse : s’il y avait des légionnaires qui venaient à gauche, ils passaient à droite et inversement. A la base, ils venaient parfois boire une bière et on allait aussi chez eux. Une fois que nous étions chez eux, on a vu des légionnaires avec des brosses à dents et d’autres avec des lames de rasoir en train de brosser la rampe d’escalier et de nettoyer les joints du carrelage. Comme explication, on nous a dit qu’ils étaient punis.

Une autre fois, alors que nous étions à la base d’Hammaguir, il y a eu un gros orage et plus question de revenir en car, l’oued que nous traversions était en crue. Nous sommes repartis en Nord Atlas et à l’arrivée camion de pompiers et ambulances sur la piste. Notre avion tournait sans se poser car le train d’atterrissage ne sortait pas. La dernière tentative fut la bonne.

En Algérie