Déplacements

Octobre 1962 à février 1963 : Mon premier déplacement. Je suis loué par les ateliers au service équipement agence de Strasbourg sur un chantier qui est en Allemagne à Saarbruken (Sarre) pas très loin de la frontière française sur un site d’aciéries. Il fait froid, la nuit tombe très vite. On travaille je ne sais plus à quelle hauteur dans cette immense usine en plein courant d’air. Pour se chauffer un peu, on récupère du bois sur le chantier que l’on brûle dans des tonneaux en tôle de deux cents litres. Notre travail est la pose de chemin de câble haut perché, le tirage et raccordement de câbles. (Pour faire les raccordements avec le froid, c’est super). Nous mangeons à la cantine le midi, le soir au restaurant. Notre hôtel n’est pas très loin. Le samedi midi, je rentre à la maison et nous repartons tôt le lundi matin. Je ne suis pas trop gâté sur ce chantier car tout le monde parle en allemand et alsacien (agence de Strasbourg=alsacien).

Mars 1963 à septembre 1963 : Pas de chantier extérieur donc à l’atelier ce que j’appellerai « en punition ».

Octobre 1963 à mars 1964 : Cadarache (CEA). Cadarache est un centre de recherches nucléaires créé en 1959, situé dans les bouches du Rhône près d’Aix en Provence sur la commune de Saint Paul les Durance. Je suis affecté sur ce centre, loué au service équipement de Paris pour les travaux de la construction de la pile Capri (réacteur nucléaire). Ce chantier est très sécurisé et très surveillé et nos tenues de travail doivent toujours être impeccables. J’ai su que des renseignements me concernant avaient été pris à la mairie de mon village Lutzelhouse.

Le Voyage et notre séjour : Le voyage se fera depuis Strasbourg en 4cv à cinq, y compris les bagages (fallait le faire). A cette époque, l’autoroute du sud n’était pas terminée entièrement, quelques tronçons manquaient.

Nous étions logés à Pertuis dans le Vaucluse à l’hôtel de la gare. C’était une ville ouverte à l’époque ce qui signifie que l’on n’était pas très regardant sur l’origine des habitants (gens pas très recommandables à qui on ne posait pas trop de questions). Elle était dotée de deux maisons closes (ce que l’on appelle des bordels), dont une à côté de l’hôtel où nous logions et on a fini par devenir copains avec ces filles. La deuxième nuit, on a retrouvé notre 4cv sur cale sur le parking de l’hôtel mais, qu’à cela ne tienne, le même soir après le travail on est partis faire un tour à Pertuis. On a repéré une voiture et on a démonté quatre roues, que l’on a mises dans la voiture d’un collègue et remontées sur la nôtre.

Une surprise m’attendait lorsque l’on s’est présentés au poste de sécurité avec notre responsable de chantier pour faire le laisser passer d’entrée. Pas possible que je rentre sur le site car il me manquait deux jours avant que j’aie mes 18 ans. La réponse de Paris : qu’il se promène sur les bords de la Durance ce que je fis pendant deux jours. Pour le transport du personnel, (nous étions nombreux), ma société avait loué un bus conduit par un collègue de travail qui faisait le ramassage matin et soir. Le midi, c’était la bousculade à la cantine de Saint Paul les Durance. On a demandé au patron de l’hôtel (un pied noir) de nous préparer des repas froids et comme il faisait toujours beau on mangeait sous les arbres. On visite un peu le coin et pas très loin, Manosque Aix en Provence, belle promenade au bord de la Durance, le lac de Sainte Croix. L’hiver, je le passerai en Provence.

Avril 1964 : Pas de chantier extérieur donc à l’atelier.

Mai 1964 à juillet 1964 : On m’envoie au poste EDF de Sierentz en Alsace près de Colmar. Je suis loué au service postes EDF Paris. Les travaux consistent à l’extension de ce poste. Sur ce chantier, nous donnerons un coup de main à l’équipe moyenne tension. Assemblage des charpentes métalliques puis montage de celles-ci. Pose des isolateurs pour recevoir les câbles des lignes moyenne tension et les disjoncteurs de coupure. Un jour, le responsable de chantier m’a demandé de monter sur un portique pour mettre le pendule (tout simplement le fil à plomb) sauf que c’était à six mètres de haut et large d’une trentaine de centimètres. J’étais jeune et je ne me suis pas dégonflé. L’occasion ne s’est pas représentée car j’aurais refusé car c’était de l’inconscience de la part d’un responsable de me faire travailler sans aucune sécurité. Ceci dit, on était à la bonne école car on était en pension à l’hôtel avec toute cette équipe. La plupart de ces monteurs, tous de vieux baroudeurs, faisaient marcher le bar du restaurant tous les soirs. La plupart était des divorcés ou célibataires. Quant à moi, je rentrai à la maison le week-end.

Aout 1964 à décembre 1964 : Pas de chantier extérieur donc à l’atelier.

Le service militaire approche et il y a deux impératifs, le passage à Commercy et la tradition de mon village : la bire (je ne sais pas si cela s’écrit comme cela, pas sûr que ce soit du français).

Commercy : Nous sommes convoqués par l’armée à passer trois jours dans leur caserne dans la Meuse. Le but est de savoir si nous sommes aptes à faire notre service militaire. Pour cela, nous passons une visite médicale complète et leur signaler si on a eu des maladies ou opérations. Nous devons aussi expliquer les études que l’on a faites ou notre profession et qui nous emploie. Ensuite, nous avons droit à un petit devoir de français et dans la foulée de maths. Il nous est aussi demandé quel corps d’armée nous aimerions intégrer. Pour ma part, je fais la demande de l’armée de l’air et l’outre-mer. Pendant ces trois jours, je pense que nous sommes au même régime que les appelés (repas et discipline.) En parlant avec les autres jeunes qui sont là comme moi, je me suis rendu compte que la plupart n’avaient jamais quitté leur campagne et que beaucoup n’avaient pas un niveau intellectuel très élevé. Par contre, ils allaient tout faire pour se faire réformer.

La Bire : C’est la fête pendant un week-end pour les conscrits à l’automne qui vont partir à l’armée. Avec la bénédiction du maire, le vendredi, les bûcherons de la commune coupent un sapin d’une dizaine de mètres de hauteur et le débardeur de la commune nous l’amène à l’orée de la forêt dans un pré communal. Le samedi matin, le bûcheron l’ébranche en laissant la cime et nous, on entoure le tronc de paille et de fleurs en papier crépon avant que les pompiers nous le dressent. Avec les branches, on monte notre cabane autour du tronc et on la garnit aussi de fleurs. Dans cette cabane, on va passer la nuit du samedi au dimanche.

La journée du samedi après-midi et celle du dimanche, c’est la tournée des gens du village qui nous ramènent des remontants. Sur place, nous avons un accordéoniste qui nous accompagne. C’est l’automne mais avec les remontants que les gens du village nous ont apportés le samedi après-midi lors de leur visite, pas besoin de chauffage dans la cabane. Les filles de la classe sont aussi invitées sous réserve qu’elles n’aient pas peur de venir et de passer la nuit. A savoir que le pré où nous sommes installés domine le village. C’est important car on a préparé des chipes (ne pas chercher dans le dictionnaire vous ne trouverez pas). Ce sont des rondelles de bois d’un diamètre de vingt centimètres, cinq d’épaisseur, percées d’un trou central dans lequel on va introduire le bout d’un bâton de deux à trois mètres de long. La nuit du dimanche tombe et on va allumer un feu. Vers sept heures, on va y mettre les chipes et quand elles vont s’embraser, on va les enquiller une à chaque fois sur le bâton que l’on frappe fortement sur une planche. Si le geste est réussi, elle va monter vers le ciel en flamme et les gens du village vont très bien les voir. Ensuite on arrose notre cabane d’essence, on y met le feu et tout va brûler comme une torche. C’est ainsi que se termine la fête de la bire. Pour la petite histoire, c’est la dernière année que l’autorisation a été donnée par le maire de la commune de couper un sapin et de faire notre rituel à l’orée de la forêt. Par la suite, les conscrits faisaient toujours la fête dans le village et ils étaient souvent invités chez les parents qui avaient des enfants de leur classe.

Filles et garcons, classe 1945
(Jean Paul : premier à droite debout)