1965 : Anne-Marie : Je suis en permission pour les fêtes de fin d’année et avec deux copains, on décide d’aller au cinéma le samedi soir à Rothau. A l’entracte, il y a deux copines qu’ils connaissent et l’une d’elle a des disques qui appartiennent à l’un de mes copains. Comme ce n’est pas loin, on va vite en voiture pour les récupérer et je ne sais pas comment il se débrouille mais toujours est-il qu’il se paie un mur. Peu de mal mais tout de même le pare choc avant touche la roue, on le redresse et c’est reparti pour le cinéma sauf que la séance est presque terminée. Du coup, on va boire un verre au café du coin. Le lendemain dimanche avec un de mes copains, on se revoit. Pour moi, ma permission se termine et je retourne en Algérie. En février 1966, c’est la fin de mon service militaire. Le samedi qui suit, il y a un bal au village voisin (Urmatt) et comme le hasard fait bien les choses, Anne Marie y est car elle a une sœur qui y habite. On est content de se retrouver et par la suite, on va commencer à se voir plus souvent le week-end et ça devient sérieux. Pour se voir pas si simple, on n’a pas de voiture. Pour finir, je prends le train et vais la voir au village (Saulxures) sur la route de Saint Dié des Vosges, deux km à pied depuis la gare dans la nature sans aucune habitation.
Elle me présente sa maman avec qui elle vit seule à la maison car son papa est décédé depuis deux années. Anne Marie passe son permis de conduire qu’elle a du premier coup et son frère lui trouve une voiture (une Renault Dauphine qu’elle baptise Pénélope). Finis les soucis pour se déplacer et se voir. Quant à l’achat de la voiture, c’est avec la vente de la dernière vache que sa maman a pu la payer (car c’était de petits fermiers). Anne Marie travaille à Rothau à l’usine de tissage, soit l’équipe du matin, soit celle de l’après-midi et elle descend à pied à la gare été comme hiver. Quand il faisait encore nuit, son papa de son vivant l’accompagnait un bout de chemin. Ensuite, le ramassage se fait par car. C’est le seul salaire pour toutes les deux pendant plus d’un an car sa maman n’a pas l’âge pour toucher la pension de son mari décédé.
C’est l’hiver et un soir après avoir passé la soirée ensemble en rentrant chez elle (vingt-trois kms) la route est une vraie patinoire à certains endroits et elle va se retrouver au fossé. Ce n’est pas la première et les gendarmes sont appelés. (17 voitures aux dires de ceux-ci sur une quinzaine de km). Ils récupèrent Anne Marie après lui avoir fait la morale qu’elle n’avait rien à faire dehors par un temps pareil et surtout à cette heure tardive. Ensuite, ils l’emmènent chez son frère qui ne réside pas très loin et chez qui elle avait déposé sa maman. Le lendemain, son frère récupère la voiture qui est juste un peu cabossée et elle est ramenée chez moi où mon frère André et son copain vont la débosseler et refaire les retouches de peinture. (Pas du cent pour cent mais pas trop mal pour des amateurs). A l’été 1966, nous ferons les fiançailles avec nos deux familles.
Mars 1966 à avril 1966 : Je reprends mes bonnes habitudes aux ateliers Trindel. C’est aussi dans ces moments-là, que mon entreprise cherche des volontaires pour la partie électrique de l’installation de postes de transformations en Syrie (idem à EDF) et je ferai partie de l’équipe qui sera dépêchée sur place. Pour la première fois, je dois ouvrir un compte en banque pour le virement de mon salaire. Ce compte, je l’ouvrirai au crédit mutuel, à l’époque un bureau pas plus grand qu’une chambre. A l’atelier, sur les chantiers, le 15 du mois, je touche l’acompte et la fin du mois le solde du salaire qui est toujours en argent liquide (que je donne toujours à mes parents).
Mai 1966 à juillet 1966 : Raffinerie de Feyzin (Rhône). Suite à l’incendie du 4 janvier (explosion et gigantesque incendie qui a fait dix-huit morts), je suis loué à l’agence de Lyon, service équipement, pour des travaux de remise en état. Sur place, il y a encore beaucoup d’entreprises qui gravitent, le travail est très décousu et on ne sait pas trop à qui s’adresser, (j’ai pensé à l’argent de l’assurance, qu’il fallait dépenser???). Peu de place, tout est complet et nous serons logés dans un superbe hôtel sur les hauts de Vienne.
Aout 1966 : Pas de chantier à l’extérieur donc à l’atelier.
Septembre 1966 à Mars 1967 : Centrale EDF hydroélectrique de La Mure en Isère entre Grenoble et Gap. Sur ce chantier, je suis loué au service équipement Paris et notre prestation est de reprendre tout le câblage de la salle de contrôle suite à la mise en place de nouveaux équipements. La réalisation se fera une partie la journée et l’autre la nuit pour des raisons propres à EDF, de délestage. Pour effectuer ces travaux, nous sommes très peu (le responsable de chantier qui était déjà à Cadarache, content de me revoir et trois monteurs dont moi de l’atelier). Une 403 bâchée pour le transport, équipée d’un banc central. Pour la route, soit la nationale La Mure/Gap (plus longue en km) ou la descente directe par la petite route en lacets, celle que nous prendrons, sauf l’hiver en cas de verglas. Le personnel EDF est sympa et l’avantage est que tous ces travaux sont à l’intérieur de la centrale au chaud en hiver.
La Mure : Tout le coin était une région minière (anthracite) et la main d’oeuvre était en partie polonaise. Le record de production en 1966 est de 791 000 tonnes. En 1968, première annonce de fermeture. En 1974, reprise des embauches suite à la crise pétrolière et en 2000, fermeture définitive. J’avais trouvé une chambre que me louait un Polonais dans une maison qu’il n’habitait pas, équipée d’un fourneau à fuel. Il tenait un genre de supérette à côté où l’on trouvait de tout. J’étais célibataire et les collègues étaient mariés donc on rentrait manger à midi. Soit, je mangeai à la cantine de la mine (elle était ouverte à tout le monde) soit au restaurant au centre de La Mure, chez Christiane, une Polonaise où je dînais aussi tous les soirs. Ma chambre était à deux minutes. En été, la chambre super mais en hiver moins drôle. J’avais passé ma journée de travail au chaud et c’était une année où il a fait très froid. Pour allumer le fourneau, bonjour, (ça puait le fuel, c’était long à chauffer) et pour finir je dormais sans, sauf le samedi et dimanche. Avec un de mes collègues et son épouse on allait quelque fois à Grenoble ou dans les stations de ski (pas pour skier). Au bas de la centrale passait la rivière qui était dangereuse. Suivant les manœuvres d’EDF, elle changeait de niveau soit basse ou haute. Le chef de quart me disait : Jean Paul, à telle heure, je vide et je descendais ramasser les truites au moins une ou deux à chaque fois. Je les donnais à Christiane qui me les cuisinait ou alors je lui laissais. Une nuit, je me suis cassé la figure et j’étais un peu (même beaucoup) égratigné, personne n’a jamais bien su ce qui m’était arrivé car j’ai expliqué qu’il faisait nuit et que la cour était verglacée.