Lutzelhouse : C’est mon village natal avec une population de trois cents habitants environ je pense en 1955. Il est situé au départ de la vallée de la Bruche et est traversé par la nationale Strasbourg via Saint Dié des Vosges ou le col du Donon vers Nancy. La rivière la Bruche nous sépare du village voisin Mulbach sur Bruche. Dans mon village on parle le français et dans le voisin, le patois alsacien qui n’a rien à voir avec la langue allemande et on retrouve ce cas dans plusieurs villages de la vallée, ce qui crée parfois des tensions de voisinage entre jeunes.
La famille : Ma maman, Jeanne DEHUCK est née en mars 1921et décédée à 87 ans en 2008. Mon père adoptif, Camille Martin est né en février 1914 et décédé à 70 ans en 1984. Je suis né en octobre 1945. Mon frère Georges (Jojo) est né en mai 1949. Mon frère André (Dédé) est né en mai 1950. Ma sœur Marie Jeanne est née en mai 1952. Mon frère Daniel (Dany) est né en mai 1958 et décédé à 49 ans en 2007.
Le village : Il y a deux usines de textile dénommées Sincotex. Une filature où mon père travaille et le tissage. On y travaille par équipes, celle du matin de cinq à treize heures et celle de l’après-midi de treize à vingt et une heure. Un service de bus fait le ramassage des ouvriers en amont et aval de la vallée. Une crèche pour les enfants des ouvriers du village qui ne vont pas encore à la maternelle est à disposition gratuitement. La garde se fait par du personnel de la commune.
Les commerces : Cinq débits de boisson dont deux qui font restaurant, une épicerie, une boucherie, une quincaillerie, une boulangerie, une pâtisserie, un cinéma, une dentiste, une pharmacie, une bijouterie, le magasin d’électroménager, deux cordonniers, le bureau de tabac, un médecin, un salon de coiffure homme et femme, un tapissier décorateur, deux scieurs de bois qui se déplacent, un garage, un maréchal ferrant, un magasin d’électricité, un marchand de bois et charbon, un jardinier, un fleuriste, deux entreprises de maçonnerie et une de peinture, le bureau de poste et la gare SNCF, un magasin de laine et un photographe. Il y a aussi un grand parc avec un château et un étang qui appartient à des Parisiens. Je pense qu’ils sont actionnaires des usines de textile. Un paysan du village fait les moissons. A chaque fois que ces gens viennent au village, ils assistent à la messe dominicale, toujours bien habillés et surtout très polis. A la sortie de la messe, ils dialoguent avec les gens du village. Pour nous, c’est un évènement à chaque fois qu’ils sont là.
L’école : La maternelle est seule derrière la salle des fêtes avec son instituteur. Sur la place de la mairie, un seul bâtiment qui fait école des grands (jusqu’au certificat d’études), le logement de l’instituteur et la mairie. Sur la place de l’église, l’école des filles, (elles ne sont pas mélangées avec les garçons) et ce sont des sœurs (religieuses) qui font la classe. Pas la peine de vous dire la rivalité entre les enseignants. A savoir qu’à cette époque les deux maîtres du village sont l’instituteur, qui dans la plupart des cas, est aussi le greffier de mairie (c’était le cas pour mon village) et le curé. A eux deux, rien ne leur échappe et ils savent tout ce qui se passe au village.
Souvenirs d’école : On avait un maître qui n’était pas facile. Les punitions au coin, les claques et les coups de règle sur le bout des doigts étaient fréquents. Il aimait le chant et d’ailleurs c’était lui qui jouait de l’orgue à l’église et qui dirigeait la chorale assez importante lors des cérémonies religieuses. Pendant le cours de chant à l’école, si on chantait mal, il se fâchait à devenir tout rouge et les baffes pleuvaient à tel point que son épouse (car ils habitaient à l’étage) descendait pour lui dire de se calmer. A la dictée, pareil, il n’admettait pas ce qu’il appelait les fautes graves (terminaison, verbes du premier et deuxième groupe, oubli du s au pluriel, etc.). Tous les matins, calcul mental et les tables de multiplication à savoir sur le bout des doigts. L’hiver la corvée de bois. A tour de rôle, on cherchait un panier pour la salle de classe le matin, un pour le midi, un pour le soir et deux paniers pour madame à l’étage. Le bois de chauffage était fourni par la commune. Il était coupé par les bûcherons du village et fendu par un employé communal. Ensuite, à nous de le rentrer à l’abri et de le ranger pour l’hiver. Au printemps, le maître décidait du jour au lendemain, l’interdiction de venir en pantalon à l’école au profit de la culotte courte. Les grandes vacances débutaient le quatorze juillet (sauf pour les enfants qui avaient des parents paysans et ceux qui aidaient à faire les moissons). On allait ramasser dans la forêt des pommes de pin pour allumer le feu et aux myrtilles pour madame. Au mois de décembre, on faisait deux soirées théâtre, une pour les gens du village et l’autre pour les enseignants du coin et les gens de l’extérieur (on était connu avec une bonne renommée). Je me rappelle vaguement avoir joué le père Adam. J’avais une fausse barbe collée sur la figure, des poils sur les jambes et une veste sans manches avec du lierre collé dessus. Je devais chanter : je suis le premier barbu, au paradis j’ai vécu mais le fruit défendu m’a perdu et je ne me rappelle plus bien le reste. Mais après ces efforts car il fallait que tout soit parfait, il y avait la récompense. Avec l’argent récolté, tous les deux ans, les deux dernières classes de primaire allaient en voyage à Chamonix deux jours en train en passant par Bâle pour aller voir la mer de glace. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte à l’époque, c’était un exploit.
La religion : Une fois par semaine, le curé vient nous faire la leçon de catéchisme à l’école pendant une heure car en Alsace c’est une obligation. La religion (catholique) est très pratiquée et il y a même des messes en semaine le matin avant huit heures. A savoir que le curé est traité comme un fonctionnaire avec un salaire, le bois de chauffage gratuit, l’entretien de la cure ou presbytère par la commune. Le presbytère peut être la propriété de la commune ou de l’église.
Dans tous les cas, c’est la commune qui prend en charge les petits travaux d’entretien, si gros travaux c’est le conseil de fabrique qui prend en charge (organisme qui gère l’église). Quant à moi, pour avoir manqué l’office religieux de l’après-midi de Pâques, j’ai été puni ainsi que mon copain. Claude mon cousin, n’a pas trouvé mieux que de me donner des cigarettes que l’on a été fumer dans le parc du château. Ma tante Jeanne a dit à ma mère et au curé : je n’ai pas vu Jean Paul à l’église. A ma mère je lui ai raconté une histoire mais pas dit que l’on avait fumé et j’ai déjà été puni à la maison pour le qu’en-dira-t-on au village et à l’école. Ensuite, le curé en a parlé à l’instituteur qui lui, a fini, à force de nous questionner, par savoir que l’on avait fumé. La punition : cent fois ” je suis un fumatori (fumeur) ” à faire pour le lendemain, signée par les parents. Vu que je n’avais rien fait, la mise a doublé. Pour faire plus vite, j’ai fait cent fois avec un carbone mais cette fois ci pas le choix, pour la signature des parents ce qui m’a valu une petite correction. Par contre, mon instituteur n’a pas apprécié ma combine du carbone et pour finir, la punition m’a suivi un certain temps car le matin il comptabilisait et à chaque fois, il en remettait un peu et je pense avoir copié des deux à trois mille ” fumatori ” et sans carbone. Une autre tradition du village, le vendredi et le samedi saint (les cloches étaient parties à Rome). Le matin très tôt, vers quatre heures trente, on passe au village avec des crécelles (un petit instrument en bois avec un moulinet denté autour duquel tourne en crépitant une languette flexible) en chantant ” bonnes gens qui dormez, réveillez-vous, il est bientôt cinq heures ” et ainsi de suite en remplacement des cloches qui sonnaient les angélus du matin. Ensuite, le samedi matin, on passait dans le village avec un panier car les gens nous donnaient des bonbons, du chocolat, des gâteaux, des œufs et ça se terminait chez le curé qui faisait le partage. J’ai fait aussi un certain temps le servant de messe et le sacristain. Deux choses dont je me souviens très bien : une fois par mois, avec le curé, on allait à pied dans le village un jour le haut du village, l’autre le bas. On portait l’eucharistie aux personnes qui ne pouvaient plus se déplacer et aux malades. Quand il y avait un baptême, ce qui représentait la joie, je jouais du carillon avec une cloche en pianotant sur des boutons. Tout était déjà électrique.
Ma vie au village : Dans notre maison, il y avait en bas, la cuisine, la salle à manger, la chambre des parents, une grange et une pièce de rangement. A l’étage, deux chambres et au-dessus de la grange, un grenier à foin qui ne servait plus. Pour les WC, ça se passait au jardin dans une cabane, un trou dans la terre, une lessiveuse qu’il fallait vider, un banc et le papier journal (les dernières nouvelles d’Alsace). Quand on entendait le répertoire chanté de Georges Brassens, on savait que c’était notre frère André qui était sur le trône. Pas de salle de bains, on allait le samedi après-midi après l’école gratuitement aux bains municipaux. On n’a jamais acheté de bois car tous les jeudis, ma mère, mes deux frères, ma sœur qui était encore petite (le petit dernier n’était pas né) et moi, on allait en forêt pour ramasser du bois mort. Pour se faire, la commune nous délivrait un permis moyennant un petit quelque chose de principe. Lorsqu’ il y avait des coupes, les bûcherons qui nous connaissaient ne brûlaient pas les belles branches de chêne, ils nous les tronçonnaient de sorte que l’on puisse les mettre sur la charrette à quatre roues. De même, suivant la demande, ils écorçaient les troncs des sapins et les écorces faisaient un super feu. Ramener le bois à la maison c’était bien, mais après, il fallait le couper (soit à la hache, soit à la scie à main, s’il était plus gros, le fendre) et ensuite, le ranger à l’abri.
Au mois de mars, s’il pleuvait, le soir à la nuit tombée, on allait aux grenouilles avec des lampes de poche au bord des ruisseaux ou à l’étang dans le parc du château (c’était interdit car les cigognes en faisaient soi-disant leur repas). On les éblouissait et elles ne bougeaient plus. Attention de ne pas se faire prendre. Quand ça marchait bien, on pouvait en attraper plus de cent et à moi ou mon père de les préparer. La seule fois où mon père a été d’accord d’emmener ma petite sœur, on a failli se faire pincer par les gendarmes, qui à l’époque venaient du village voisin (Urmatt) à vélo. J ’ai entendu des freins grincer, ils étaient deux, qui ont dû voir les lueurs des lampes de poche. Nous, on a pris la poudre d’escampette à travers prés et on a fait un grand détour pour rentrer à la maison par l’arrière. A la Pentecôte, c’était la fête du village. Il y avait un stand de confiserie, un manège de chevaux de bois et un stand de tir. Avec mes frères, on allait ramasser des escargots que l’on troquait pour des tickets tours de manège. Je pense que l’on se faisait avoir car il fallait beaucoup d’escargots pour un de ces tickets.
A la saison des myrtilles (brimbelles en Alsace), on partait tôt le matin en scrutant le ciel à la grande côte (une heure trente minimum de marche) par les sentiers de la forêt et retour par le même chemin. Les seaux étant remplis, il fallait faire attention de ne pas les renverser. On allait de même aux champignons : girolles, cèpes, pieds de mouton. On allait aussi à la cueillette des fruits, mûres, framboises, prunes, cerises et poires, pour la confiture. Si beaucoup de fruits, ma mère faisait des bocaux pour l’hiver et on faisait aussi de l’eau de vie. Pour l’eau de vie, ça se passait chez le voisin qui avait un alambic (le bouilleur de cru). Première opération, on allait au bureau de tabac qui faisait le nécessaire auprès des impôts pour la déclaration de la matière à distiller (prune, cerise, poire, etc…), la contenance en litre des tonneaux et le nombre. Il nous remettait ensuite la clé (indispensable pour se servir de l’alambic) et le temps alloué prévu pour ce travail. Deuxième opération, il fallait amener chez le voisin le bois nécessaire pour la chauffe de l’alambic. En général, la distillation débutait en soirée et se terminait tard dans la nuit. Une fois, mon père m’a permis de rester avec eux. La pièce était petite et à la première coulée, les vapeurs d’alcool sont très fortes de quoi s’enivrer sans boire. Le lendemain, on retourne chez le buraliste pour rendre la clé et déclarer le nombre de litres d’eau de vie issu de la distillation. Il nous remet ensuite l’autorisation de transférer l’alcool depuis le bouilleur de cru jusqu’à la maison avec des heures bien précises. Ne pas oublier que des contrôles sont fréquents par la gendarmerie chez le bouilleur de cru et sur le parcours du transport de l’alcool. On a droit à un certain nombre de litres d’alcool gratuit. Si le quota est dépassé, on doit payer un supplément fiscal par litre. Pour nous qui habitions en face du bouilleur de cru, on traversait la route et on amenait le surplus en cachette à la maison. Au bout du jardin, on avait une petite vigne et chaque année, il fallait piocher et enlever les mauvaises herbes. La coutume faisait qu’on désherbait le premier mai et on récoltait le raisin pour en faire du vin. Nous les enfants, on profitait de boire le jus à la sortie du pressoir car il était doux. Mon père lui, se servait au tonneau et je pense qu’il buvait une bonne piquette. Une autre tradition du village : le 14 juillet, après la cérémonie au monument aux morts, il y avait une distribution de petits pains avec saucisse de Strasbourg pour les enfants du village. A la maison, on avait des poules et des lapins. A l’âge de douze ans, le jeudi matin quand ma mère devait toucher des remboursements de la sécurité sociale, je partais à vélo à la petite ville de Molsheim (une trentaine de km aller-retour) pour avoir l’argent plus vite à la caisse de maladie et je revenais avec de l’argent liquide.
Ma marraine : A côté de notre maison, il y avait un gros trou, c’était le reste de la maison des voisins qui avait été bombardée pendant la guerre de 39/45. En fait, c’était plus que des voisins car c’était eux qui avaient élevé Thérèse, la plus jeune sœur de ma mère car elle avait quatre ans quand son papa est décédé (mon grand-père). La maman (ma grand-mère) n’avait pas bien le choix car à l’époque, les allocations familiales n’existaient pas. Pour cette raison et pour subvenir aux besoins de la famille, elle était partie travailler à l’usine en laissant sa fille Thérèse aux voisins qui l’ont l’élevée comme leur propre fille.
Il y avait Marie l’aînée, ma marraine. Un frère, Joseph mort d’un mal blanc (infection généralisée) et Louise décédée d’une pneumonie après avoir lavé du linge à la fontaine en hiver. (Je ne les ai pas connus). J’ai connu Eugène qui avait perdu l’usage de ses jambes, il avait eu les pieds gelés en Russie pendant la guerre et la sœur Adèle qui se déplaçait péniblement avec des cannes dans la maison. Suite à une chute, elle s’était cassée le col du fémur ou la hanche, je ne sais plus, et ne s’était jamais fait soigner. En attendant que la maison soit refaite, ils étaient logés dans une maison de la commune à une centaine de mètres. On peut dire que ma marraine a sacrifié sa vie pour s’occuper de son frère et de sa sœur. Aussi je me rappelle la reconstruction de leur maison qui par la suite est devenue la maison de mon frère Georges. Lors du bombardement, l’étable, la porcherie, les deux vaches et la basse-cour n’ont pas été touchées. Pour la petite histoire, je suis devenu le chouchou de ma tante Thérèse car son copain, qui est devenu son mari par la suite, était militaire dans le Haut-Rhin. Il était venu pour la voir et a demandé à ma mère où il pouvait la trouver. Ma mère a répondu au pré où elle garde les vaches. A sa grande surprise, il y avait un petit garçon avec elle et il a cru que sa chérie était maman. On a souvent parlé et rigolé de cette anecdote. Aussi, il m’arrivait le jeudi matin d’aller avec ma marraine à pied avec une charrette à quatre roues au village voisin (Wisches) car il y avait une scierie et elle achetait un ou deux sacs de sciure pour la litière des vaches. A la fenaison, après le travail, mon père et son frère partaient, faux à la main, lui faucher ses prés et ma marraine, ma mère et moi, on répandait le fourrage pour le faire sécher. Ensuite, elle demandait au paysan du village qu’il vienne lui ramasser avec son char et ses chevaux. Il venait après avoir fini son travail et si par malchance, pluie ou orage, il fallait tout recommencer.
L’hiver : A la maison, on ne chauffait que le bas, avec une cuisinière à bois à la cuisine et un poêle à bois dans la salle à manger. L’hiver 1956, il faisait tellement froid dans ma chambre à l’étage que les carreaux de ma fenêtre n’ont pas dégivré de décembre à février. Lorsque je me couchais, mon haleine faisait de la buée et givrait sur la couverture. En Alsace, on faisait la Saint Nicolas début décembre et il passait dans les maisons avec le père fouettard. On devait lui chanter une chanson et si on avait été sage, on recevait une orange et des bonbons. Dans le cas contraire, le père fouettard, muni d’une grosse chaîne, nous faisait promettre d’être gentil. A Noël, c’était la magie pour nous car on espérait tous avoir des cadeaux et si simples étaient t’ils, on était toujours content. Moi j’avais un peu plus de chance car mon parrain, qui habitait Paris m’envoyait chaque année un mécano. Et puis il y avait le réveillon, le seul soir de l’année où on veillait en faisant des jeux et ensuite la messe de minuit. Au retour, il arrivait que l’on croise le garde champêtre, le gardien du village qui pendant la messe de minuit, faisait sa ronde. Ensuite, on mangeait un petit quelque chose puis au lit. Comme il y avait beaucoup de neige, on faisait des parties de luge et il y avait de quoi faire. En fin de semaine, avec les plus grands, y compris des couples, après dix-neuf heures, on faisait une ou deux descentes en luge depuis la chambre d’eau jusqu’à la gare. Pour se faire, on faisait un train (à plat ventre sur la luge en accrochant avec les pieds la luge suivante et parfois quelqu’un sur son dos). Le parcours, je pense plus d’un km en traversant la nationale (très peu de circulation à l’époque). Il y avait toujours quelqu’un qui surveillait la route tout de même. Le matin en se rendant à l’école, il arrivait que des routiers patinent avec leur camion dans la montée du village. Souvent, ils restaient bloqués plusieurs heures avant d’être secourus et tirés d’affaire. Pour se faire, un garagiste venait avec un gros GMC (idem ceux de l’armée) et il tirait le camion en se mettant en marche arrière.
Apprentissage : Septembre 1959 à juin 1962. Après avoir passé et réussi mon certificat d’études, je pars faire mon apprentissage d’électricien à Strasbourg dans un centre spécialisé pour les métiers du bâtiment en tant qu’interne pendant trois années (je pars le lundi matin et rentre le samedi après-midi). Les six premières semaines, les profs nous font faire un test de tous les métiers du bâtiment (serrurier, maçon, carreleur, menuisier, peintre, électricien) et ils nous aiguillent où nous sommes les meilleurs. Comme j’étais bon en maçonnerie, ils voulaient que je fasse ce métier et j’ai eu de la peine à faire accepter mon choix de faire de l’électricité. La vie à l’internat est une bonne école, réveil à six heures trente le matin, toilette collective, pas de lavabo, un bac en inox tel que ceux que l’on voit dans les parcs à vaches. L’hiver, les pièces ne sont pas très bien chauffées. Ensuite, petit déjeuner, on fait nos lits et on donne un petit coup de balai. Si mes souvenirs sont bons, nous étions douze par chambrée. La surveillance est faite par ce que l’on appelait des pions (étudiants) qui n’étaient pas toujours très sympas. De huit heures à midi atelier, puis repas au réfectoire et ce n’était pas les trois étoiles.
Pas la peine d’être à l’armée pour se faire appeler les bleus en première année. Quand le repas était copieux, les deuxième et troisième année, malgré la présence du surveillant, venaient piquer dans nos assiettes. Le repas terminé (on était six à table), on mettait les couverts sur le chariot que deux dames de service poussaient et si on avait fait des bêtises, on avait droit à la plonge et pas de récréation. Après-midi, cours de quatorze à dix-huit heures et les devoirs jusqu’ au dîner, puis salle de détente avec jeux et peut-être la télé ?? A vingt et une heures, extinction des lumières dans les chambres.
Je passe et obtiens mon CAP fin mai et en juillet ma vie active commence.
J’avais une tante sœur à mère Joséphine qui tenait avec son mari Henri un commerce de fuel/charbon/bois/ambulance à Schirmeck à 8 km de chez moi. Pendant mes trois années d’apprentissage, pendant l’automne et l’hiver, j’allais avec leur fils (mon cousin René) le samedi et pendant les vacances, pour donner la main à la livraison, briquettes et boulets (sacs de 50kg). Cela me faisait un peu d’argent de poche. Comme on était jeunes, on avait droit aux clients les plus faciles. Descentes de caves avec des escaliers en bois très étroits, livraison des fermes isolées avec une ambulance désaffectée (une 203 comme celle de l’armée) car pas d’accès carrossable, on portait le sac à même le dos. Quand un wagon de briquettes était livré à la gare, mon oncle nous mettait en place le camion, le tapis roulant, deux fourches et c’était parti. A midi, le wagon était vide.
Mon Oncle Henri : Il était marié à une soeur à ma mère – deux filles (Anne-Marie et Christiane) et un garcon (René). René s’est tué en voiture à l’âge de 25 ans. Pendant la guerre, à la fin d’une permission, il décide de ne plus retourner au front. Il va se cacher chez ma mère au grenier. Mais il apprend par sa femme, ma tante qu’on est en train de faire des recherches à son sujet. Il va se cacher à nouveau mais cette fois ci dans la maison où loge provisoirement ma marraine et il va tenir dans cette cache jusqu’à la fin de la guerre.
Juillet 1962 : Je commence cette vie active en étant embauché à la société Trindel qui a son siège à Paris. Cette entreprise comprend trois services.
1) Les ateliers qui se trouvent près de Strasbourg (dans le village de Geispolsheim) avec la tôlerie et les machines de pliage – l’équipe de soudeurs pour l’assemblage et l’équipe de peinture pour la confection de tableaux et armoires électriques ainsi que le câblage de ces équipements. Pour la petite histoire, les premières cabines de péage d’autoroutes sont nées aux ateliers Trindel et c’est là que va commencer ma vie active.
2) Un service équipement qui fait les installations neuves et l’entretien dans toute la France (usines, hauts fourneaux, centrales EDF, raffineries, etc.).
3) Le service travaux EDF qui comprend l’équipe de lignards (assemblage et pose de pylônes dans la nature, mise en place des câbles de liaison pour acheminement de l’électricité 400 000 volts et 60 mille pour la moyenne tension) et l’équipe de génie civil pour la construction des postes EDF, et celle de la moyenne tension qui installe les équipements que l’on voit dans les postes et enfin la basse tension (les électriciens) pour la mise en place des éléments de sécurité et de coupure des lignes haute et basse tension ainsi que l’installation de la salle de contrôle et du tableau de commande (mise sous tension ou hors tension du réseau).
Pour mon embauche pas de problème car le directeur est de mon village. C’est lui, avec un de ses collègues, qui ont travaillé ensemble sur le site d’Uckange en Lorraine (à l’époque des hauts fourneaux), qui ont créé les ateliers de Geispolsheim. A cette époque, la journée de travail était de neuf heures par jour et bien souvent le samedi matin = 59 heures par semaine. Je prenais le train à 5 heures 17 le matin et comme j’étais très souvent en retard, je terminais de m’habiller dans celui-ci. Le chef de gare qui me connaissait bien, regardait s’il me voyait courir à travers les prés avant de donner le signal de départ. Sans lui, je pense que je l’aurais raté une paire de fois. A Lingolsheim, dernière gare avant Strasbourg, on prenait le vélo pour aller aux ateliers deux à trois km je pense. S’il pleuvait, on était déjà trempé avant de commencer la journée de travail et l’hiver le gel. Le soir, rebelote. J’arrivais à la maison à 20 heures 30 où tous les soirs, ma maman me préparait steak, patates et salade. Si on travaillait le samedi matin, train à 5 heures 17, retour à la maison 14 heures. Le patron a eu pitié de nous et on venait nous chercher à la gare avec un camion bâché Citroën, équipé de deux bancs car nous étions une bonne dizaine de la vallée de la Bruche. A cette époque, une grosse activité sur les chantiers au niveau national et manque de personnel. Pour parer à cette situation, on faisait appel au personnel volontaire de l’atelier avec l’accord de la direction. Ma décision était prise, je serai volontaire en cas de besoin. Toujours mieux que le train et camion.
Souvenirs : Le directeur, qui était de mon village, avait une 403 noire et arrivé à son bureau tous les matins, il faisait son tour en passant par l’allée centrale de l’atelier avec son porte cigarette et la cigarette à la bouche et une main derrière le dos.
De temps en temps, il se baissait pour ramasser une vis, un écrou, etc. et il les déposait à la personne la plus près de lui en disant (ceci est du gâchis et de l’argent perdu). Le matin de 8 heures 30 à 8 heures 45, le casse-croûte et le repas de douze à treize heures au réfectoire. Pour moi, c’était la gamelle ou le pot de camp (au choix) que ma maman me préparait tous les soirs pour le lendemain. Parlant de gamelle dans le train, il y avait une personne qui était toujours très bien habillée qui nous toisait d’un regard amusé sauf qu’un jour en posant son sac dans le filet (dans le wagon, le filet servait de porte bagage) sa gamelle était mal fermée et du jus s’est mis à couler sur lui. Il n’avait rien vu au début mais comme on rigolait tous exprès, il a eu l’air plutôt bête ce monsieur qui se croyait supérieur à nous.